a) Règles de typographie française : majuscules, minuscules, abréviations, séparation ou coupure des mots, etc.
Notre idiome recourt, ou devrait recourir à la majuscule avec beaucoup de mesure, pour ne pas dire avec parcimonie, suivant dans l’ensemble des règles bien précises*. Or on observe dans la langue écrite d’aujourd’hui une épidémie de « majusculite » aiguë, dans toutes sortes de dénominations d’ailleurs : dans les titres de fonctions, d’institutions, d’œuvres diverses, qu’elles soient artistiques ou non, et même dans des appellations des plus banales. Plus qu’à une influence de la publicité, qui use et abuse de la majuscule, ou à celle de l’anglais des Etats-Unis, lequel, à tort d’ailleurs, affecte d’une capitale chaque terme d’un titre de livre ou de film notamment, c’est, semble-t-il, les innombrables sigles de la langue d’aujourd’hui qu’il faut incriminer. Ceux-ci, en effet, s’écrivent en capitales et nombre d’entre eux sont même devenus de véritables substantifs, appelés de ce fait acronymes **: ONU, UNESCO, OTAN. Toujours plus nombreux à envahir la langue écrite, ils incitent les scripteurs à surcharger la moindre de leurs phrases d’une pléthore de majuscules aussi incongrues qu’erronées. Or « les majuscules sont des marques linguistiques qui signalent exclusivement les initiales des phrases, des titres et des noms propres, ou qui composent les sigles. Leur sens est sémantique – permettant de distinguer entre la terre du jardin et la planète Terre – et syntaxique : la majuscule initiale est constitutive de la phrase.»[1] Enfin, d’une manière générale, on peut dire qu’il faut aussi tenir compte, dans ce domaine, de l’aspect esthétique : un texte français hérissé de majuscules est désagréable à l’œil… et difficile à lire !
N.B. — Majuscule « se dit des lettres plus grandes que les autres et de forme différente qui se mettent au commencement des chapitres, des phrases, des vers, des noms propres, etc., et cela surtout en termes d’écriture <manuscrite>. Capitale s’emploie de préférence en termes d’imprimerie. Quant à initiale, elle « se dit particulièrement des lettres, des syllabes qui commencent un mot, comme de la première lettre majuscule des noms propres ». (René Bailly, Dictionnaire des synonymes de la langue française, Larousse, 1974, art. « majuscule »).
*Hypertexte I ― Celles-ci sont exposées de manière quasi exhaustive aux §§ 96-100 du Bon usage (pp. 104-124), ainsi qu’aux paragraphes 201-250 du Guide du typographe romand (pp. 23-40). Citons également le petit ouvrage fort bien fait d’Albert Doppagne, Majuscules, abréviations, symboles et sigles (éd. Duculot, Louvain-la-Neuve, 1991), ainsi que ceux de Louis Guéry, Abrégé du code typographique « à l’’usage de la presse », Paris, éd. Victoire, 7e éd., 2005 et Dictionnaire des règles typographiques, Paris, éd. Victoire, 4e éd., 2010.
** Hypertexte II : Les initiales les constituant sont lues selon leur valeur habituelle, raison pour laquelle elles ne sont pas séparées par des points : radar, sida, simca – nom d’une marque célèbre de voitures françaises : cet acronyme résulte de l’appellation de Société industrielle de mécanique et de carrosserie automobile, fondée en 1934 par Henri-Théodore Pigozzi. — En revanche, les initiales des sigles, séparées les unes des autres par un point, sont lues d’après leur nom dans l’alphabet : O.G.M. : organismes génétiquement modifiés, P.M.E. petites et moyennes entreprises, etc. (cf. BU, §§ 189s.) — Citons encore deux acronymes ne correspondant pas à des initiales d’organisations, d’institutions, ni de marques : qwerty et azerty. Composés des lettres formant la suite des six premières touches d’un clavier conçu respectivement pour l’anglais et le français, ils désignent des claviers de machines à écrire ou d’ordinateurs.
Même si, dans notre langue, l’emploi de la majuscule ne suit pas, dans tous les cas, des règles fixées et que l’on y observe un certain flottement, ce n’est pas une raison pour sacrifier à une mode qui pousse à l’inflation dans ce domaine, inflation d’ailleurs parallèle à celle de l’individualisme, du culte de l’ego et à l’abus des sigles. Or, lorsque l’on transcrit en toutes lettres les termes abrégés, il faut respecter les règles typographiques d’usage et ne mettre de majuscule qu’au premier substantif d’une institution : T.F. : Tribunal fédéral, D.F.A.E. : Département fédéral des affaires étrangères, B.I.T. : Bureau international du travail, M.E.N. : Ministère de l’éducation nationale, U.E. : Union européenne (les adjectifs géographiques ne prennent pas la majuscule, ni les noms des langues ; seuls les noms des ressortissants d’un Etat la prennent : la république française, le français, mais les Français).
Lorsque les dénominations d’institutions ou d’associations, désignées par des sigles, sont écrites en toutes lettres, ces majuscules ne doivent en aucun cas être maintenues à l’initiale de chacun des termes de la désignation, ni même de certains d’entre eux, en particulier lorsque ce sont des noms communs, des adjectifs ou des prépositions : A.G. : assemblée générale, C.C.P.: compte courant postal ou compte de chèque postal, D.A.B. : distributeur automatique de billets (de banque), M.S.F : Médecins sans frontières, A.S.S. : Aide suisse contre le sida, etc.*
* Hypertexte I : L’excès inverse existe aussi : c’est la « minusculite », qui sévit particulièrement dans les messages écrits des téléphones mobiles (textos ou sms). En définitive, il faut, comme en toute chose, trouver entre ces excès le juste milieu, dont le but est la clarté, raison première de la grammaire française ; comme l’a dit Antoine de Rivarol (1753-1801) : « Ce qui n’est pas clair n’est pas français ».— Sur la célèbre clarté française, on se reportera avec profit aux §§ 593s. de l’ouvrage de Ch. Bally, Ling. gén. et ling. fr.
On constate actuellement, une tendance contraire aux habitudes typographiques du français, consistant à affubler d’une majuscule tout nom commun ayant, de près ou de loin, un rapport quelconque avec une forme de pouvoir. C’est ainsi que l’on voit de plus en plus dans des lettres, des circulaires, des dépliants publicitaires et des journaux des termes aussi communs que mairie, commune, conseil municipal, comité, crèche, clinique, direction, secrétariat, délégué, directeur, maire, président, trésorier, etc., ornés d’une majuscule. Or ce n’est que lorsque l’on s’adresse à ces gens par écrit que l’on utilise la majuscule, et non lorsque l’on parle d’eux à la 3e personne : Monsieur le Maire, Madame la Présidente, etc. Sans parler des raisons sociales peintes sur des véhicules énumérant les diverses activités auxquelles se livrent les sociétés en question : °Démolitions, Transformations, Aménagements Intérieurs, Agencement de Cuisines, etc. C’est peut-être flatteur pour les individus, cela met peut-être en évidence les compétences des services concernés ; ce n’en est pas moins abusif. Il en va de même des fêtes profanes et des vœux qui leur sont associés : les fêtes de fin d’année, bonne et heureuse année, joyeuses fêtes, mais : fête de Noël, fête de l’Escalade, fête du 1er-Août[2].
N.B. Remarquer le trait d’union dans les dénominations de certaines fêtes, la date et le mois formant, dans ce cas, une sorte de mot composé : la fête du 14-Juillet.
Quant aux termes écrits entièrement en capitales, ils doivent porter leurs accents, comme s’ils étaient écrits en minuscules, afin que la lecture en soit facilitée et que soient évitées d’éventuelles ambiguïtés : ferme, reserve, eleve, decede, precedent, retraite peuvent aussi bien se lire : ferme que fermé, RÉSERVE que RÉSERVÉ élève qu’élevé, décède que décédé, précèdent que précédent, retraite que retraité Pourquoi devoir s’en remettre au contexte ?… Quand il y en a un ! Ainsi, ferme affiché au-dessus d’une caisse de supermarché fait grotesque ! D’autant que ne pas accentuer ces e peut provoquer des ambiguïtés confinant parfois au loufoque, comme dans l’exemple suivant : palais des congres ! Or un simple accent grave sur l’e final aurait permis de l’éviter ! Même dans le cas d’un congrès d’ichtyologie, les congressistes réunis dans ce palais ne sauraient être pris pour des poissons (des congres) !
En revanche, si l’initiale seule est un E majuscule, elle n’a pas de raison de porter d’accent : l’Etat, l’Eglise. Certes, en la matière, les manuels de typographie ne sont pas tous d’accord entre eux et l’on observe des divergences également d’un pays à l’autre, comme celle qui concerne précisément la capitale initiale en bas de casse, c’est-à-dire d’un mot écrit entièrement en minuscules, exceptée son initiale : l’usage des typographes français et belges est de l’accentuer : État, Église, l’usage prévalant en Suisse est de ne pas la surmonter d’un accent, le terme étant au demeurant suffisamment reconnaissable : Etat, Eglise. En outre, aucun mot de la langue française ne commence par un È, hormis le prénom féminin Eve ! Soit on a E – qui n’est pas prononcé en tant que tel en raison de la ou des consonnes qui le suivent – soit É, prononcé en tant que voyelle. En outre, il n’est pas habituel de mettre l’accent circonflexe sur un E initial, sauf dans les dictionnaires orthographiques, pour des raisons évidentes. Quant à l’accent grave sur la préposition A, il peut être omis (tolérance typographique), puisque, dans la plupart des cas, il est impossible de le considérer comme la 3e personne de l’indicatif présent du verbe avoir : personnes a avertir.
La majuscule apporte donc des informations très utiles, soit sur l’articulation d’un texte, indépendamment de la nature et du sens des mots, soit sur la catégorie ou le sens des mots qui la portent.