« Il y a dans la langue française, dit très bien Joubert 1Joseph JOUBERT (1750-1824), in Du style., de petits mots dont presque personne ne sait rien faire. C’est tantôt une conjonction, tantôt un pronom démonstratif, tantôt un adverbe, tantôt une locution composée, une courte proposition. Mais comme l’abus de ces termes de liaison donne au discours un air pesant et pédant, et comme d’autre part il paraît facile de s’en passer, on ne se donne pas la peine d’en connaître l’énergie et les propriétés.
Le préjugé est établi qu’en français on ne lie pas les phrases, et l’on trouve aujourd’hui peu de gens qui sachent bien user de ces petits mots en parlant et en écrivant. Le plus grand nombre en use mal ou n’en use pas. Chaque phrase tombe isolée, détachée, indépendante, comme un axiome ou un oracle : l’abus de l’alinéa achève de donner à ce style son relief propre et complète un nouveau genre de pédantisme, contraire au pédantisme raisonneur, aussi insupportable dans sa légèreté tranchante que l’autre dans sa raisonnable gravité. » (Gustave LANSON (1850-1934) 2in Conseils sur l’art d’écrire, Paris, Librairie Hachette, 1896, p. 234..

Remarque. — Cette manie d’aller à la ligne à chaque phrase est probablement due au premier des outils de mise en forme des traitements de texte actuels, mise en forme considérée comme normale et quasi imposée, laquelle prévoit un interligne, alors que juste à côte d’elle se trouve celle de mise en forme sans interligne ! Dès lors, on ne fait plus de paragraphes dignes de ce nom et conformes à la règle : une idée par paragraphe un paragraphe par idée !

      Or l’emploi judicieux des termes de liaison fait ressortir les articulations d’un texte, contribuant ainsi à la cohérence de l’exposé. Souligner par le terme adéquat les rapports logiques s’établissant d’une phrase à l’autre, d’un paragraphe à l’autre, permet non seulement de renforcer la cohésion d’un texte, mais encore d’en faciliter la compréhension. Si la rareté, voire l’absence de tels termes n’est pas quelque chose de répréhensible en soi, elle risque néanmoins de donner au texte un aspect quelque peu décousu. Divers manuels de français-langue étrangère (F.L.E.) regroupant pêle-mêle, sous l’appellation générale de connecteurs ou d’articulateurs, et sans la moindre distinction ni précision, un ensemble hétéroclite et disparate de termes appartenant aux différentes parties du discours, nous préférons l’appellation traditionnelle de termes de liaison pour sa clarté, la rigueur de sa classification et la facilité de choix et d’utilisation de ceux-ci.

N.B. — Cohérence ‒ cohésion. Selon le Dictionnaires des synonymes Larousse, la cohérence exprime l’union, la connexion entre les parties d’un même tout : la ferme cohérence des pierres. La cohésion désigne la propriété, la force qui fait la cohérence : l’immersion augmente la cohésion du ciment hydraulique. Si, des idées ne sont pas en cohérence dans un discours, dans un raisonnement, on en dénonce l’incohérence. En revanche, des éléments physiques, des particules d’un  corps sont en état de cohésion.
Selon le Vocabulaire technique et critique de la philosophie d’André Lalande (1962, p. 146s.), cohésion appliqué à une pensée ou à un exposé correspond à l’anglais coherence, et est plus fort que le français cohérence, qui correspond seulement à l’anglais consistency : il y a cohérence quand il n’y a pas contradiction, et cohésion quand les idées se tiennent solidement 3D’après P. DUPRÉ, Encyclopédie du bon français dans l’usage contemporain, Paris, éd. de Trévise, 1972, vol. I, s.v..

Dans la liste ci-dessous, les termes de liaison (adverbes, locutions adverbiales, conjonctions et locutions conjonctives de coordination), sont classés en fonction des rapports logiques qu’ils indiquent. A noter que des termes proches par le sens (« synonymes ») ne sont pas interchangeables ! C’est le cas de cependant, pourtant, néanmoins, toutefois, pour ne citer que ceux-là, que distinguent de fines nuances 4CF. les pages 316 à 324 du Manuel de stylistique française.

Voici, classés par catégories logiques, les termes de liaison proprement dits de la langue française :

1° union, liaison
Et, ni, puis, ensuite, aussi, bien plus, jusqu’à, comme, ainsi que, aussi bien que, de même que, non moins que, en outre, de plus, qui plus est, de/par surcroît.

2° cause
Car, en effet, effectivement, bien.
Exemple : Pardonne-lui, je l’ai bien fait ! [= puisque je l’ai fait : emploi idiomatique de bien].

3° insistance
Certes, assurément.
N.B. On évitera,  dans la langue écrite, d’employer bien sûr en tête de phrase.

4° transition
Or, or donc.

5° explication
C’est-à-dire, à savoir, savoir, soit.

6° alternative*
Ou, ou bien, ou … ou, et … et, soit … soit, soit … ou, ou …, ou au contraire, tantôt … tantôt, d’une part … d’autre part, non seulement … mais encore.
Exemple : « Que puis-je espérer [par rapport à ma mort] ? Suis-je digne du paradis ? Suis-je digne de l’enfer ? Quelle alternative ! Quel embarras ! (Madame de Sévigné) 5Marie de Rabutin-Chantal (1626-1696).
       *Contrairement au sens qu’il a en anglais – et qu’un usage abusif répand aujourd’hui – ce substantif français désigne une double possibilité, entre les termes (généralement opposés) de laquelle il faut opter. C’est ainsi que l’on dira : « J’hésite devant cette alternative, ne sachant laquelle des deux possibilités choisir. Il est vrai que la seconde éventualité me sourit beaucoup. » Il n’y a donc pas °deux alternatives (au sens de solutions par exemple), mais une alternative de deux possibilités. La célèbre phrase d’Hamlet « Etre ou ne pas être ! Telle est la question » est un exemple typique d’alternative. Le dictionnaire Larousse donne un bon exemple : Une grande nation n’a que cette seule alternative : conquérir ou civiliser. (E. Girardin) Si l’on peut comprendre le glissement de sens, lié à l’étymologie latine (alter signifiant l’un des deux, l’autre), les termes de possibilité, d’éventualité, d’option, de parti, d’hypothèse ou de solution sont préférables. Quant à la tournure °l’alternative à qqch. comme dans cet exemple : « l’alternative à la politique actuelle ne saurait être la formule collectiviste » (d’après R. Aron), elle est indéfendable ! Il faut dire : une solution de remplacement, de rechange. Si l’opposition est plus forte, c’est le contraire de, l’opposé de, l’inverse de qu’il faut employer.

opposition, restriction
Mais, et, au contraire, mais au contraire, au demeurant, cependant, pourtant, toutefois, néanmoins, quoique, d’ailleurs, aussi bien (= d’ailleurs), au moins, au reste, du reste, du moins, en tout cas, en revanche, par contre, sinon, encore [en tête de phrase], seulement, tant [il] y a que, d’autre part, quoi qu’il en soit, à ce compte, ce qu’il y a de sûr, c’est que.

enchaînement, conséquence
Donc, aussi, partant, alors, ainsi, enfin, par conséquent, en conséquence, en conséquence de quoi, conséquemment, par suite, c’est pourquoi*, dans ces conditions.
*De préférence à et c’est pourquoi ! Cette locution conjonctive, de valeur conclusive, étant déjà d’une certaine lourdeur, il est inutile de la faire précéder de et, puisqu’elle met déjà fortement en relief la conclusion qu’elle introduit. 

       REMARQUE —  Dans les propositions commençant par certains adverbes ou certaines locutions, qui marquent pour la plupart la restriction ou l’opposition, le sujet est généralement inversé, se plaçant de préférence après le verbe ; c’est notamment le cas quand le sujet est un pronom personnel ou l’un des pronoms ce ou on. Ces termes sont : à peine, ainsi, aussi (dans le sens de c’est pourquoi), au moins, difficilement, du moins, [et] encore, mais encore (dans le sens de malgré cela), en vain, vainement, rarement, peut-être, plutôt, à plus forte raison, sans doute, toujours (dans le sens de en tout cas), aussi bien (dans le sens de d’ailleurs, en effet).
       Exemples : Il a une petite retraite, aussi doit-il faire attention à ses dépenses.Elle est de mauvaise humeur : ainsi serez-vous bien inspiré de ne pas la contrarier… Deux cent mille francs pour cette maison, ce n’est pas cher ; encore faut-il les avoir !
Si elle n’est pas toujours obligatoire, l’inversion du sujet est souvent une élégance qui confère à la phrase un aspect plus littéraire : A peine est-il levé est plus élégant que : A peine il est levé ! – Peut-être sera-t-il déjà là est plus élégant que la forme de la langue parlée : Peut-être qu’il sera déjà là. Toutefois, si l’on n’inverse pas le sujet, on fait généralement suivre l’adverbe ou la locution d’une virgule, fortement recommandée après aussi, aussi bien, ainsi : Aussi, je décidai de partir. A noter que la locution aussi bien, qui implique une idée d’égalité, sert à donner une justification supplémentaire ; le vrai sens en est tantôt en effet, tantôt d’ailleurs, au surplus, somme toute, tout compte fait.
Exemple : Vous avez le droit de vous retirer, puisque aussi bien vous n’avez pas encore parlé (G. Sand).

       N.B.  On se gardera  d’associer systématiquement à une manière  d’élégance l’inversion du sujet, laquelle, ne l’oublions pas, contrevient à l’ordre  direct de notre langue 6Cf. à ce sujet les pages de ce site consacrées à la syntaxe et aux anglicismes, ad fin.. Pour un exposé plus circonstancié de l’inversion en français, l’inversion du sujet en particulier, on se reportera aux pages 219 à 226 du Manuel de stylistique française, où l’on découvrira divers cas d’inversions fautives et d’exemples de faux bon style.