LE TEXTE ET SES AVATARS 1Cf. impropriétés de termes : faux sens.

Histoire succincte du mot de texte

Emprunté vers 1155, après une altération en tiste (vers 1112), au latin textus, qui signifie au sens propre tissu, enlacement et, au sens figuré, « enchaînement d’un récit », sens ayant donné, à l’époque impériale, celui de « teneur [du discours], ou récit », textus s’est ensuite spécialisé, à l’époque chrétienne, dans l’explication théologique, appelée exégèse, pour désigner le libellé authentique de la parole divine (le logos / λόγος évangélique), finissant au IXe siècle, dans le latin d’Eglise, par désigner matériellement l’Evangile lui-même 2C’est ce qui deviendra, dès l’invention de l’imprimerie, le textus receptus des éditeurs du Nouveau Testament, ou texte [grec] communément reçu. — Si le travail philologique avait déjà commencé à l’époque de la Réforme du XVIe siècle (Nouveau Testament d’Erasme), c’est surtout à partir du XIXe siècle que la critique textuelle s’est attachée à retrouver un texte plus proche du texte originel que le textus receptus. On s’est donc fondé sur un autre type de texte : le texte grec dit alexandrin ou égyptien, auquel les spécialistes reconnaissent une grande valeur critique du fait qu’il s’appuie sur des manuscrits des IIIe et IVe siècles. Ce travail philologique et théologique, appliquant avec rigueur les règles de la critique textuelle, est à la base des éditions critiques disponibles aujourd’hui, dont la plus répandue est celle de Nestle-Aland. —  Le substantif latin de la 4e déclinaison textus, –us, m. est formé sur le supin du verbe texere, texo, texui, textum, qui signifie tisser, ourdir (une trame),  tresser, et, au sens figuré, entrelacer, échanger (des propos)..

Morphologiquement parlant, textus – qui veut dire ce qui est tramé, tissé – est la substantivation du participe parfait passif de l’infinitif texere, un verbe signifiant précisément tramer, enlacer ; c’est de ce verbe latin que dérive l’adjectif textilis [tissé, tissu], qui a donné en français textile, sur lequel est formé le substantif neutre textile [tissu]. Or, on vient de le voir, le substantif  texte a d’abord un emploi religieux, puisqu’il désigne l’évangéliaire, c’est-à-dire le volume contenant les péricopes évangéliques qui sont lues ou chantées aux divers offices de l’année liturgique. Ce sens spécifique se maintiendra jusqu’au début du XVIIIe siècle.

Reprise au XIIIe siècle, la seconde valeur du latin ecclésiastique désigne vers 1220, sous la forme teuste, le passage authentique d’un livre saint, par opposition à glose. A la même époque apparaît le sens d’énoncé écrit, qui désigne l’ensemble des signes constituant un écrit, soit une valeur liée au sens étymologique du latin textus. Mais la notion originelle d’authenticité ne disparaît pas pour autant, comme en fait foi la locution ancienne nomer par plain tiexte 3Graphie d’époque., qui veut dire « citer exactement un auteur », suggérant la valeur d’extrait cité. Dans la langue juridique, texte désigne, à la fin du XIIIe siècle, les termes authentiques et notés par écrit d’une loi, d’un acte. Dans la langue ecclésiastique, il s’emploie dès le milieu du XIIIe siècle pour désigner un passage de l’Ecriture sainte retenu comme sujet de prédication, cité au début de celle-ci, puis faisant l’objet d’un développement (ce qui rappelle le premier sens du mot, celui d’exégèse). De cette acception dérivent des emplois vivants du XVIIe au XIXe siècle, tels que thème ou sujet d’un discours, et même d’un entretien : ainsi l’expression revenir à son texte, c.-à-d. à son sujet 4Comparer avec l’expression revenons à nos moutons, qui remonte à la « joyeuse comédie de mœurs et de caractères » (Petit Robert II) d’un auteur anonyme, intitulée la Farce de maître Pathelin (1464), considérée comme la première comédie de la littérature française.. Si ces emplois ont disparu, l’idée en subsiste dans la langue scolaire, où texte se dit, dès le début du XXe siècle, d’un sujet de travail proposé à des élèves : ainsi les expressions cahier de textes et texte libre, c.-à-d. sujet libre, d’une composition par exemple.

Un autre développement aboutit, dans le premier tiers du XVIIe siècle, au sens de « passage, extrait d’un livre que l’on cite ». C’est alors que le mot commence, dans l’enseignement d’abord, à s’employer, en parlant d’une œuvre littéraire, à propos d’un fragment d’une œuvre considérée comme caractéristique d’un auteur : on a dit d’abord livre à textes (1690), puis choix de textes, textes choisis ; par ailleurs, on a instauré l’explication de texte. C’est, semble-t-il, au XIXe siècle seulement que le terme a commencé à prendre le sens d’œuvre littéraire. Dans le même temps, texte prenait une valeur extensive : il assimilait à un texte un objet culturel faisant l’objet d’une interprétation. Au XIXe siècle toujours, l’idée d’authenticité revient dans la langue de la critique biblique et de la philologie, s’appliquant désormais au travail d’établissement des textes anciens, d’abord médiévaux, puis de l’Antiquité ; c’est cette discipline qui se propose, par la collation des manuscrits, de restituer un texte ancien ayant subi les outrages du temps, ou corrompu par l’inadvertance des copistes qui nous l’ont transmis.

Dans la langue de l’imprimerie,  du fait que, dès le XVIe siècle, le mot de texte était assimilé à l’écrit, ce terme désignait les caractères employés : on distinguait en effet petit ou gros texte. Dans le domaine de la chanson et du chant, quoique le terme de paroles soit plus courant, on parle aussi de texte, par opposition à la musique.

Bien qu’au XXe siècle les emplois de texte se soient étendus, ce terme reste lié, dans l’usage courant, à l’écrit ou à l’imprimé. En linguistique, texte est relativement peu utilisé dans le domaine francophone, sinon par emprunt récent à l’allemand : on parle, en effet, d’une linguistique de texte ou grammaire de texte 5V. l’article « Texte » de Roland Barthes dans l’Encyclopaedia universalis. ―  Pour la terminologie de la langue philosophique, linguistique et esthétique, utile dans les études littéraires, on consultera avec profit le Nouveau vocabulaire de la dissertation et des études littéraires d’Henri Bénac et de Brigitte Réauté (Paris, Hachette, coll. « Faire le point. Méthode », 1986).. Il représente néanmoins un des concepts importants de la sémiotique des langues naturelles, s’appliquant aussi, d’ailleurs, aux langages formels. Ainsi, en critique contemporaine, le terme de texte tend-il à remplacer la notion de genre, devenue difficile à cerner cf. sixième impromptu ; se rapprochant de son sens étymologique, il désigne quelque chose d’une autre nature que la phrase ou le paragraphe : un tissu complexe de relations entre des éléments de différents niveaux, lesquels forment une structure dont l’analyse n’est pas réductible aux catégories du langage de la communication simple, utilisées par la linguistique.