Le purisme, les puristes. Quel mal n’a-t-on pas dit des puristes ! En quels termes n’a-t-on pas décrié le purisme !
Formé sur l’adjectif pur, issu de l’adjectif latin purus, -a, -um, qui veut dire sans tache, sans souillure et, par suite, net, sans mélange, exempt de, le terme de puriste a d’abord eu, au XVIe siècle, un sens religieux, celui de rigoriste ‒ qu’il a perdu par la suite au profit de l’adjectif puritain, probablement emprunté à l’anglais. A l’époque classique, il prend celui de “personne affectant un souci excessif de correction dans le langage”, puis s’applique, de manière plus générale, « à une personne excessivement soucieuse de pureté, de conformité à un idéal ». Apparu dans la langue tout au début 1Et non au°tout début, tout étant adverbe et non adjectif ! Cf solécismes. du XVIIIe siècle, le purisme correspond au second sens du mot de puriste, désignant donc un “souci excessif de pureté dans le langage et dans le style” 2Dictionnaire historique de la langue française, s.v..
Or, qui dit excès, dit exagération : de qualité qu’elle est à l’origine, la défense d’un idéal peut vite devenir un défaut, une manie, une tare même. Néanmoins, sans vouloir entrer dans un débat non dénué d’aspects affectifs, pour ne pas dire passionnels, nous ferons simplement remarquer que nombre de puristes, au début du moins, étaient animés d’un désir sincère de précision lexicale et de clarté grammaticale, ce dont avait besoin la langue de cette époque, puisqu’elle était en passe de conquérir d’importants bastions du latin, idiome dans lequel communiquaient entre eux les savants de ce temps. Cela n’est d’ailleurs pas le fait du hasard si ce mouvement est né au XVIIe siècle, « un siècle de grammairiens et d’intellectuels » dont de nombreux écrivains « étaient imprégnés de cartésianisme » (A. Dauzat). C’est la grande époque de ‘purification’ et de clarification de la langue, qui devient une langue intellectuelle, soit un instrument d’expression logique et adéquate de la pensée. Cette évolution est particulièrement nette dans le domaine de la syntaxe, définitivement émancipée de la syntaxe latine, ainsi qu’en matière de distinction précise des sens et des emplois des mots. Comme le note Ch. Bally 3In Linguistique générale et linguistique française, § 558., « aucune langue n’a poussé aussi loin que le français la finesse des distinctions synonymiques ». Or c’est en grande partie aux puristes qu’on doit cette quête quasi obsessionnelle de la précision. Néanmoins, dès lors que la défense d’une certaine conception de “la pureté de la langue” se fige dans des prises de positions surannées, faisant fi d’une évolution de bon aloi, cette rigueur relève non plus de la science grammaticale, mais de l’idéologie, avec tout ce que cela comporte d’aberrations et d’excès coupables 4Cf., mutatis mutandis, les idées fausses présentées dans la rubrique de ce site concernant les genres et les termes épicènes..
Historiquement, le purisme – nom formé sur l’adjectif puriste, souvent substantivé – désigne la doctrine des grammairiens qui succédèrent à Claude Favre, seigneur de Vaugelas (1585-1650), dont les plus connus sont le père jésuite Dominique Bouhours (1628-1702), auteur des célèbres Entretiens d’Ariste et d’Eugène (1671), ainsi que de la Manière de bien penser dans les ouvrages d’esprit (1687), et l’abbé Pierre Joseph Thoullier d’Olivet (1682-1768), auteur d’Essais de grammaire (1732), grand admirateur de Cicéron, dont il traduisit le De natura deorum.
Le purisme est « l’attitude selon laquelle l’utilisation de la langue doit se conformer à une norme idéale visant à privilégier un usage dit pur, qui interdit toute évolution et notamment tout emprunt » 5Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, s.v.. Se fondant non sur l’usage, mais sur des raisonnements a priori, relevant de la logique, de l’esthétique et de l’étymologie, les puristes passent au crible les œuvres des grands auteurs classiques, sans même se demander si la langue n’a pas évolué depuis l’époque où les chefs d’œuvres examinés ont été écrits. Emportés par leur zèle purificateur, ils tombent vite dans des excès qui n’ont pas peu contribué à conférer à ce terme et à la doctrine qu’il illustre un caractère dépréciatif.
Si, au XIXe siècle, les romantiques ont rejeté la tyrannie puriste, la tradition se perpétue dans les Remarques sur la langue française au XIXe siècle de Francis Wey 6Portant en sous-titre Sur le style et la composition littéraire, cet ouvrage en 2 volumes est paru en 1845 chez Firmin Didot frères, libraires à Paris., lequel, à dessein, donne à son ouvrage le même titre que celui de Vaugelas, paru en 1647. Grâce à l’enseignement de la grammaire, l’influence de ce livre touchera toutes les classes de la société du temps. Il faudra attendre la fin du XIXe s. et le début du XXe s. pour voir les premières attaques, aussi vigoureuses que fondées, porter un coup fatal au purisme. C’est au grand historien de la langue Ferdinand Brunot (1860-1938), auteur d’une monumentale Histoire de la langue française, qu’il appartenait de démontrer que, l’usage grammatical ayant souvent varié au cours du temps, les idéaux absolus de pureté en matière de langue, fondés sur un modèle intangible et immuable, sont pure illusion.
Il n’en demeure pas moins qu’un certain public cultivé reste imprégné d’esprit puriste, comme en témoignent par exemple les réactions passionnées que provoque de nos jours la moindre proposition de réforme de l’orthographe. A une époque où le français, en proie à toutes sortes d’influences, est entraîné dans une évolution toujours plus rapide, le purisme demeure une attitude plus répandue qu’on pourrait le croire, peut-être en signe de résistance à cette “évolution”, qui, sur plus d’un point, semble échapper à tout contrôle…
L’attitude contraire au purisme s’appelle laxisme. Ce mot provient de l’adjectif latin laxus, -a, -um, qui veut dire large, relâché : c’est l’attitude de quelqu’un qui fait preuve d’une indulgence, d’une tolérance excessive, qui ne formule aucun interdit. Le mot s’est d’abord appliqué, au XVIIe siècle, à un « système de théologie morale, à un comportement moral selon lequel il est loisible de suivre une opinion qui a une légère probabilité, même à l’encontre d’une opinion nettement plus probable » 7Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, s.v.. Rejeté par l’Eglise romaine, cet avatar de la casuistique jésuite a provoqué en France une querelle théologique demeurée célèbre grâce à la réfutation qu’a donnée Blaise Pascal du laxisme, dans ses Provinciales. De la théologie, le terme est passé dans d’autres domaines, notamment dans celui de la langue 8Pour conclure, on se gardera de confondre ce mot avec la laxité, terme de la langue soutenue, principalement médicale : désignant l’état de ce qui est relâché, détendu, la laxité peut s’appliquer à une corde, à un tissu, à la peau, à un ligament..
REMARQUE
Dans cette rubrique de notre site, paraîtront des articles ou des billets consacrés à des expressions ou à des tournures condamnées par les puristes, mais souvent tolérées, parfois même acceptées par le Bon usage de M. Grevisse et A. Goosse, ainsi que d’autres autorités grammaticales, tel le Conseil international de la langue française. Il semble néanmoins judicieux de les signaler, ne serait-ce qu’en raison du fait que l’Académie française, d’ordinaire sourcilleuse sur ces formes controversées, les condamne la plupart du temps, notamment dans les mises en garde souvent sévères qu’elle fait paraître dans la presse. A l’utilisateur donc de faire son choix en pleine connaissance de cause…