la grammaire malmenée / Exemples à ne pas imiter !
La langue française étant d’une redoutable complexité grammaticale, liée à la richesse de ses moyens d’expression, eux-mêmes largement tributaires des finesses syntaxiques de l’héritage gréco-latin, il n’est pas rare que le scripteur soit embarrassé au moment de formuler par écrit sa pensée, de développer une idée, une argumentation*. Il peut aussi hésiter sur la meilleure manière de présenter ses intentions, afin d’emporter l’adhésion de ses lecteurs ou auditeurs. Il peut enfin ne pas savoir comment élaborer une lettre, un texte suivi (rapport, résumé, compte rendu, commentaire, voire le plan d’une dissertation), qui soient constitués de paragraphes au contenu cohérent et logique, recourant, si besoin est, aux termes de liaison idoines. Sans parler de la ponctuation, étroitement liée aux rapports grammaticaux et syntaxiques qu’entretiennent entre eux les mots et les propositions constituant les phrases. A lire nombre d’écrits d’aujourd’hui, on constate que les scripteurs ne connaissent guère que le point et la virgule, éventuellement le point d’interrogation, dont ils semblent, dirait-on, “saupoudrer” leur texte au petit bonheur la chance. Or l’emploi correct des différents signes de ponctuation reflète non seulement la clarté d’esprit de l’auteur, mais également la cohérence syntaxique de son texte, rigoureusement construit.
N’ayant la plupart du temps que de vagues souvenirs de grammaire et, surtout, soumis à la mauvaise influence du style relâché et des innombrables incorrections dont fourmille la prose d’aujourd’hui, presse en tête, le scripteur tant soit peu soucieux de ne pas écrire n’importe comment est généralement bien démuni en matière de correction linguistique. Ce site devrait l’aider à voir plus clair dans le foisonnement lexical et grammatical de notre langue et à puiser dans ce trésor reçu des générations précédentes ce dont il a besoin pour son propre usage, d’autant que les cas de « maltraitance linguistique », sont innombrables… Ainsi, pour n’en citer qu’un, nous suggérons à l’utilisateur de se pencher sur un sujet particulièrement sensible, faisant l’objet d’une page de ce site : celui des genres en français.
« L’impact sur la santé ou l’environnement – avec la présence de ces substances dans l’eau – est au cœur de leurs argumentaires respectifs. »
*Argumentation ou argumentaire ? L’argumentation est d’abord « l’action, l’art d’argumenter », puis « l’ensemble d’arguments tendant à une même conclusion », tandis que l’argumentaire, terme de la langue commerciale, toujours plus envahissante, est un « document utilisé par le vendeur, « contenant l’ensemble des arguments de vente » 1Petit Robert, s.v.. Phénomène significatif de notre époque, la terminologie économique et financière empiète décidément sur tous les domaines, même celui des études universitaires, comme en font foi les nouveaux emplois du terme de crédit…
Rappel : Le signe ° précédant un mot signale un tour ou un emploi n’appartenant pas au français régulier Cf. les symboles.
Les « correcteurs » orthographiques et grammaticaux : Il faut absolument mettre en garde les utilisateurs d’ordinateurs contre les prétentions nettement surfaites des prétendus correcteurs orthographiques et grammaticaux ! Outre le fait que leur échappent nombre de fautes grossières, d’orthographe grammaticale notamment, il leur arrive bien souvent de signaler comme fautives des graphies parfaitement correctes et de proposer des rectifications sidérantes ou farfelues. Ils ne sont utiles que pour l’orthographe dite d’usage (et encore, quand ils repèrent les erreurs…), c’est-à-dire l’orthographe des mots tels qu’ils sont répertoriés dans un dictionnaire.
Utilité de la grammaire : l’utilisateur trouvera dans ce site des considérations théoriques concernant certains sujets de grammaire : ce qui distingue, par exemple, les innombrables usages de l’infinitif ou de la préposition de, que l’on a appelée la préposition universelle du français, les finesses d’emploi des pronoms relatifs, du pronom dont notamment, du ne dit explétif (dont on use et abuse), ou encore les subtilités du subjonctif, du participe présent et de la concordance des temps, la richesse chatoyante du style indirect, etc. Là où les difficultés en question ne sont pas seulement résolues, elles sont encore analysées et commentées, faisant l’objet, si besoin est, d’une brève présentation du point de grammaire auquel elles ressortissent 2Attention à ne pas confondre le verbe du langage juridique ressortir à qqch. ‒ signifiant être du ressort de et appartenant au 2e groupe (paradigme finir), dont le participe présent en -issant est substantivé en le ressortissant ‒ avec ressortir de (composé de sortir), v. du 3e groupe, se conjuguant comme partir et dont le participe présent est ressortant. Pour de plus amples explications, cf. Menu Fautes de français, sous-menu barbarismes, note 3.. C’est ce que l’on appelle un commentaire raisonné : on donne la ou les raisons de la règle de grammaire transgressée et de la règle à appliquer dans le cas particulier.
La grammaire, cette mal aimée !…
Selon un adage latin, la grammaire est la servante de la pensée. Est-il présomptueux de penser que, présentée de cette façon, cette discipline jugée rébarbative – à tort évidemment – devrait cesser d’être, dans l’esprit de bien des gens, une collection de règles qu’ils jugent abstruses, tyranniques, absurdes même, pour devenir petit à petit un inépuisable réservoir de moyens d’expression d’une infinie variété ? D’ailleurs le nom d’anciens dictionnaires n’est-il pas précisément Trésor de la langue… ? C’est le cas du premier en date (1606) des dictionnaires français unilingues, le Thrésor de la langue françoise tant ancienne que moderne. C’est même celui d’un dictionnaire contemporain : le Trésor de la langue française [TLF]. Dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècle, publié par le C.N.R.S. sous la direction de P. Imbs à Paris entre 1973 et 1994. ― Equivalent français du grec Θησαυρός / Thèsauros, latinisé en Thesaurus, ce terme entre, dès la fin du XIIIe s., dans le titre de dictionnaires, puis d’encyclopédies, du fait qu’ils rassemblent ce qui mérite d’être conservé.
N.B. Diplomate et érudit français, Jean Nicot, seigneur de Villemain (1530-1600) – plus connu comme l’introducteur du tabac* en France, dont il envoie du Portugal, où il est ambassadeur, des pieds de « petun » à Catherine de Medicis – est l’auteur du premier en date (1606) des dictionnaires français unilingues, le Thrésor de la langue françoise tant ancienne que moderne, ouvrage monumental paru à titre posthume, auquel il travailla jusqu’à la fin de sa vie et qui marque le début de la lexicographie française proprement dite. C’est en fait une révision et augmentation du dictionnaire françois-latin de Robert Estienne (1503-1559), le célèbre « imprimeur du Roy » François Ier pour l’hébreu, le latin puis le grec. Cette vaste compilation est le premier ouvrage lexicographique où le français occupe la 1re place, comme il appert du titre.
— *Appelé d’abord nicotiane, le tabac était considéré comme une plante médicinale…
Pour les personnes qui voudraient approfondir tel ou tel point abordé, le site propose des références à des instruments de travail spécialisés, mettant ainsi à la disposition des utilisateurs des ouvrages parfois difficilement accessibles en dehors des bibliothèques universitaires de facultés des lettres (cf. la bibliographie d’ouvrages spécialisés).
Enfin, pour se concilier cette matière victime de préjugés aussi tenaces qu’injustifiés, le lecteur sensible lira avec plaisir le délicieux récit allégorique d’Erik Orsenna, la Grammaire est une chanson douce (éd. Stock, 2001).
Sur l’étymologie du terme de grammaire, on se reportera au menu intitulé impromptu grammatical.
La grammaire et les disciplines connexes
On ne saurait assez insister sur le rôle important que jouent, dans cette conception de l’expression écrite, l’histoire de la langue, la phonétique et la grammaire historiques, l’étymologie, l’orthographe grammaticale, la syntaxe, la rhétorique, la stylistique même, sans parler de la littérature, quintessence de la mise en œuvre, par l’art et la joie d’écrire, de toutes ces disciplines. Toutes concourent, chacune à sa manière, à ce que l’on appelle le génie d’une langue, soit son caractère propre, ce qui en fait un idiome unique, c’est-à-dire « un ensemble de tendances constantes et cohérentes, révélées dans l’usage qu’en fait une nation à travers des siècles d’évolution naturelle. » 3H. Morier, in Cahier Ferdinand de Saussure n° 47, 1993-1994, pp. 83.
Or il se trouve que la langue française, telle qu’elle nous a été transmise par les générations précédentes, s’inscrit dans une tradition grammaticale pluriséculaire peu commune. En effet, non seulement l’enseignement de la grammaire était au Moyen Age la première des trois disciplines du trivium, ou arts du langage, qui comprenait en outre la logique et la rhétorique, mais c’est dès le XVIe siècle, et surtout à partir du XVIIe, que commencent véritablement les études de grammaire au nord de la Loire (aire de la langue d’oïl), avec Vaugelas et Ménage. Liées à la fondation de l’Académie française par le cardinal de Richelieu en 1634, elles se sont poursuivies durant les siècles suivants. Au XXe siècle, à l’auguste Compagnie sont venus s’ajouter divers organismes chargés de veiller sur l’intégrité du français, dont le plus important et le plus éclairé est le Conseil international de la langue française, fondé en 1967. Vingt-deux ans plus tard, le Premier ministre français de l’époque fondait le Conseil supérieur de la langue française, chargé de veiller, dans divers domaines, sur le destin et la qualité du français. On constate donc que ce ne sont pas les institutions de référence qui manquent, ce que confirme, s’il en était besoin, l’importance qu’il convient d’accorder à la correction de l’expression écrite notamment, pour la simple et bonne raison que c’est là un gage de bonne intelligence – au sens classique du terme, soit la “compréhension” – des gens entre eux.