En matière de fautes de langue, citons encore le lapsus, le pataquès, le cuir et le velours.
Terme masculin de la quatrième déclinaison latine (génitif en -us), le lapsus est une erreur involontaire, due d’ordinaire à une cause psychologique inconsciente, que l’on fait soit en parlant (lapsus linguae, « glissement de la langue »), soit en écrivant (lapsus calami, « glissement du roseau » [dont on se servait dans l’Antiquité pour écrire sur des tablettes de cire]. L’erreur consiste donc à dire ou à écrire un mot pour un autre, à faire une faute de prononciation ou d’orthographe. Notons que, sur le plan psychologique, les lapsus sont souvent significatifs…

Le pataquès désigne une faute grossière de langage. Par extension, ce terme familier désigne toute confusion ou maladresse que l’on fait en parlant, révélant chez celui qui la commet une ignorance crasse. Ainsi, la barbarie – qui désigne la férocité propre aux peuples non civilisés – employée pour barbarisme, harasser pour harceler sont des pataquès 1Sur l’origine de ce terme, qui serait, selon Le Petit Robert – reprenant l’explication d’E. Littré – une « formation ironique imitative d’après ce n’est pas-t-à moi, je ne sais pas-t-à qui est-ce », L’Encyclopédie de Dupré est sceptique, y voyant une « anecdote étiologique évidemment forgée et péniblement approximative ». Que n’en propose-t-elle une meilleure !. Ou encore celui-ci, lu dans un journal : le cortège °s’ébroua, au lieu de s’ébranla !
En raison de son caractère pittoresque, ce terme fait florès actuellement, au point d’être utilisé dans toutes sortes d’acceptions la plupart du temps erronées. Mais, nous l’avons déjà dit, ouvre-t-on encore un dictionnaire de nos jours ?…

Le terme populaire de cuir s’applique à une liaison vicieuse entre la finale d’un mot et l’initiale du mot suivant. Plaisamment dite °mal-t’à-propos, cette « faute de langage consiste à prononcer à la fin d’un mot qu’on lie à un autre un t pour un s : °j’étai-t à la campagne, et réciproquement il °étai-z à la campagne [avec confusion des terminaisons selon la personne du verbe], ou à intercaler une liaison là où il n’en faut point : °j’ai-z été. » La liaison la plus connue est la fameuse expression entre quatre yeux, prononcée d’ordinaire, par plaisanterie, entre °quatre-z-yeux. Selon L. de Thomasson, une faute telle que j’ai °été-z-à la campagne, qui, métaphoriquement parlant écorche la langue, explique le fait que cette liaison vicieuse a été appelée cuir. « Quand on écorche, on enlève la peau, donc on fait un cuir. »2Naissance et vicissitude de 300 mots et locutions, Paris, Delagrave,
1934, s.v., cité par DUPRÉ, à l’art. « cuir ».

Enfin, toujours selon E. Littré, le terme très familier de velours 3Ces appellations sont reprises par le BU (§ 41, rem. 1), qui illustre d’autres exemples la distinction de Littré. Certains auteurs tel Raymond Queneau tirent des effets comiques de ces liaisons fautives. désigne une « faute de langage qui consiste à mettre en liaison une s au lieu d’un t : °il était-z à la campagne. Le mot velours, employé dans ce sens, vient de ce que cette liaison est moins rude que celle qui se fait avec le t, de même que le velours est plus doux au toucher que le cuir. »

Reste de l’ancien usage, qui voulait que l’on prononçât toutes les consonnes finales, la liaison n’a donc pas pour but, comme on le croit généralement, d’éviter un hiatus. Preuve en est, par exemple, la survivance de prononciations anciennes telles celles des adj. grand et long, de la conjonction quand, ainsi que du subst. sang en liaison ; c’est que ces termes, au Moyen Age, s’écrivaient grant, lonc, quant et sanc, d’où les liaisons de la prononciation soutenue un gran-t homme, un lon-k entretien, « un san-k impur », etc.

Devant le recul général du phénomène phonétique qu’est la liaison dans la langue parlée d’aujourd’hui – depuis des lustres l’école n’insiste plus sur la qualité d’une lecture soignée ni même n’enseigne la diction – ces erreurs sont en voie de disparition…, à moins qu’elles soient commises dans une intention comique, comme dans ce slogan publicitaire de Migros Genève : « l’été sera chaud et °zanimé ! à Balexert.» Manque de chance ! Le velours n’est pas au bon endroit, car on ne fait jamais la liaison avec la conjonction de coordination et, en raison de l’homonymie (entraînant la liaison) avec la 3e pers. du sg. du verbe être au présent de l’indicatif. Il eût donc fallu écrire : « l’été sera chaud-z et animé ! ».
Il n’en demeure pas moins que les divers genres de fautes présentés ci-dessus trahissent, dans la bouche ou sous la plume de ceux qui les commettent, non seulement une méconnaissance coupable de la grammaire, mais encore, et c’est plus grave, une insensibilité linguistique inquiétante, reflétant une perception quasi inexistante de la langue et une culture générale des plus sommaires. Cela est d’autant plus grave que ces négligences récurrentes trouvent dans les médias des relais complaisants, ce qui altère d’autant plus rapidement la langue que celle-ci est déjà bien malmenée. En définitive 4Et non le disgracieux °au final, qui a indûment supplanté cette locution, ainsi que finalement., cela ne facilite assurément pas la compréhension des gens entre eux…

« Pour le français d’aujourd’hui, nous sommes dans l’eau du bocal, noyés dans l’information, en proie aux préjugés et postjugés contradictoires : on nous parle d’un français éternel, « langue humaine » plus que toute autre, et qui pourtant se perd dans une inculture envahissante. » (…) Le français normalisé de l’école et de l’administration subsiste à l’écrit. Il y est à la fois rudement maltraité et superbement exalté, ce qui est le fait de toute langue « de culture ». A l’oral, la spontanéité, l’illettrisme, l’inculture même ne sont pas ses pires ennemis : bien plutôt les intentions rhétoriques et brutales de la communication de masse. Celles-ci découpent la parole au mépris de la morphologie, de la syntaxe et du [bon] sens, fabriquant un « écrit parlé » dont l’artifice, multiplié par le discours politique et publicitaire ne peut pas rester sans effet sur les millions d’oreilles qui le subissent. Dans tous les cas, il s’agit de ce français (« cultivé », ou « soutenu », ou « non marqué », ou « central »…) dont on affirme qu’il est en crise. Ce français, bien ou mal employé, interdit presque d’apercevoir d’autres usages, aussi vivants, mais plus divisés et moins prestigieux. Ainsi, les français régionaux, ruraux et urbains, reconnus à leur phonétique (les « accents ») et à leurs vocabulaires, parfois à des traits de grammaire, survivent et quelquefois prospèrent. » (Alain Rey). 5Dictionnaire historique de la langue française, t I., pp. 835s., art. « Le français ».

En conclusion, on se rappellera, pour le paraphraser, le premier des quatre célèbres préceptes de la deuxième partie du Discours de la méthode de René Descartes (1596-1650) : « Le premier [précepte] était de ne recevoir (c.-à-d. reconnaître, accepter) jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle… »
En français d’aujourd’hui, ce premier précepte pourrait être formulé comme suit : Ne jamais considérer une chose comme vraie sans en être absolument sûr !

Ainsi, en matière de langue cela signifie, mutatis mutandis, que l’on n’emploiera que des mots ou des expressions dont on connaît le sens exact, de la construction desquels on est sûr. Pour s’en assurer, il faut recourir au dictionnaire ! Lorsque l’on traduit un texte écrit dans une langue étrangère, même si l’on maîtrise bien cette langue, on en contrôlera au besoin, dans un dictionnaire unilingue, le sens et l’emploi des termes proposés par le dictionnaire bilingue. — Gare aux faux amis ! 6Cf. les anglicismes. Quant à la langue maternelle, on aura toujours à l’esprit le fait qu’on est loin de la maîtriser parfaitement, aujourd’hui moins que jamais ! En outre, on se gardera d’oublier que plus le texte qu’on lit ou traduit est ancien, plus il est probable que les termes en aient changé de sens au cours des siècles, comme c’est le cas du verbe recevoir, employé par Descartes dans une acception aujourd’hui ancienne. Ce précepte linguistique, qui ressortit à ce que l’on appelait autrefois l’humilité intellectuelle, est fondamental en matière de traduction, tant pour la version (traduction de la langue étrangère dans la langue maternelle) que pour le thème (traduction de la langue maternelle dans la langue étrangère).